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Comme une féra dans l’eau du lac

Ou la rencontre d’une figure locale sur son terrain de jeu. Henri-Daniel Champier, qu’il vente ou qu’il neige, ira lever ses filets et récolter ce que le lac, qu’il connaît si bien, voudra bien lui donner. Partons avec le pêcheur, au plus près du produit et de la Nature et faisons connaissance avec la féra du Léman.

Clarens, 04h21. Nuit d’été, noire et douce, j’attends mon rendez-vous. Neuf minutes encore pour admirer le spectacle scintillant de la ville sur le miroir d’eau et ne pas céder à la panique au moindre bruit suspect aux alentours. Les canards ne sont toujours pas carnivores… À la bonne heure ! Et justement, il n’y a pas d’heure pour l’enthousiasme ! Car je l’ai attendue cette expérience du produit, la féra du Léman, cette rencontre avec le pêcheur, la redécouverte du lac. Je n’y croyais presque plus, tant, lui et la météo, changeants, incertains, décidaient du planning. Soit ! Nous y sommes. Impatiente d’embarquer bien avant l’aube, je distingue mon rendez-vous qui s’approche. Monsieur Champier, Henri-Daniel de son prénom, c’est celui qui me livrera, tant dans ses silences que dans ses commentaires, les rouages de son métier de pêcheur. Une activité aussi difficile qu’indispensable et qui se respecte. Et quand plus tard je lui demanderai pourquoi alors il a choisi un tel métier, il me répondra sans manières : « Et vous, pourquoi faites-vous ça ? ». Dans sa question grande ouverte, j’avais ma réponse…

05h17, deux cafés et quelques confidences plus tard, le matériel chargé dans le bateau, nous quittons le petit port du Basset. Les 14 noeuds en pleine face auront raison de ma mine chiffonnée. Et à la lueur de la lampe torche, on évoluera à grande allure au beau milieu du lac, dans la nuit noire. Une expérience particulière… Ne distinguant et n’entendant presque rien, que le bruit assorti du vent et du moteur, je m’en remets à notre capitaine aguerri, qui sait où il va, lui. Les filets connectés lui indiquent le cap à tenir. Et même sans cette aide, je me dis que pour y avoir passé des jours et des années sur le Léman, il le connaît certainement par coeur. 20’000m2 de filets à sortir, posés la veille. Il nous faudra 3 bonnes heures pour en arriver à bout et quelques seaux de glace pilée pour conserver notre pêche, pas miraculeuse, de féras et de truites. Ah, elle est loin l’époque des belles années fertiles. L’une des meilleures, c’était il y a 35 ans. 800 tonnes de féra, c’était une bonne année… « Cette année, la pêche, c’est le fond du bidon. Si on arrive à 150 tonnes, ce sera bien déjà  » Henri-Daniel Champier, le président de l’Association Suisse Romande des Pêcheurs Professionnels (ASRPP), est presque résigné de ce constat.

« Car oui, pour avoir un produit du lac, il faut qu’il puisse se régénérer… !  »

Henri-Daniel CHAMPIER, notre pêcheur, La pêcherie du Haut-Léman

La féra se fait de plus en plus rare dans le Léman. Peut-être de l’avoir trop désirée ? Ou de ne plus avoir le climat hivernal propice à son développement dans ces eaux-là ? Ou d’être tributaires de réglementations qui sont à réévaluer absolument ? Pas assez d’alvins relâchés, plus assez de plancton pour nourrir les poissons, des oiseaux pêcheurs trop avides et des bords de lac bien peu accueillants pour les périodes de frai…. Tous ces obstacles franchis, comment ne pas en arriver-là ?! Le retour dans les filets de la reine du lac ne se fera pas sans changements et les pêcheurs du Léman les attendent. Ce jour-là, en observant Henri-Daniel, qui, depuis des heures répète les mêmes gestes, avec rigueur et patience – ceux qu’il fait tous les jours et en toutes saisons – je comprends qu’il ne s’agit pas là seulement du gagne-pain d’un homme, mais d’un métier, son métier de pêcheur, qu’il s’engage à défendre.

08h53, retour au port. Quand certains débutent leur journée de travail, le pêcheur poursuit la sienne. En rentrant, il y aura encore de quoi faire ! Mais avant ça, on fait un dernier crochet. Henri-Daniel Champier a d’autres filets à poser : la petite maille pour les fameuses perches du lac… Le soleil est apparu, le paysage est splendide. Quel beau coin du monde tout de même ! « Ah notre beau Bleu ! » se réjouit soudainement Henri-Daniel. Je lui donne raison évidemment. Et j’aurais pu ne pas vous parler de ce qu’on rencontre souvent, flottant à la surface, comme un mirage dégoutant, un tas de déchets, la pollution visible, des plastiques, des objets qui n’ont rien de lacustre, mais qui sont pourtant là, à frôler la coque du bateau. Henri-Daniel le déplore, ramasse ce qu’il peut et peste contre ce gâchis. Oui, j’aurais pu ne pas vous en parler ici… Alors avant que notre filet de féra ait un arrière goût de plastique, peut-être devrions-nous respecter le garde-manger. Nous respecter nous-mêmes en fait.

La féra, boudée un temps, adulée un autre, a retrouvé sa place en cuisines et s’est invitée aux plus belles tables. En saison, quand la féra du lac est à la carte, il faut s’en réjouir. Chez Philippe Chevrier, au Domaine de Châteauvieux, c’est sous la forme d’un marbré aux câpres et citron qu’on la sublime. Le poisson est choyé dans cette entrée incroyable ! Et avant qu’un jour elle ne retrouve sa période de faste avec raison et conscience, la féra du Léman, inspirante et raffinée, n’en reste pas moins reine en son royaume.

Pêcherie du Haut-Léman , Brigitte et Henri-Daniel CHAMPIER, Port du Basset, 1814 Clarens 
021 981 11 10 – www.pecherie.ch
Marché les mardis et samedis matins dès 8h30

L’association Le chemin des galetswww.lechemindesgalets.ch – Le combat pour lequel Henri-Daniel Champier milite depuis des années pour reconstituer les grèves de galets afin de favoriser la fraie naturelle des poissons. Un manuel didactique est paru. Disponible à la vente à la pêcherie et auprès du pêcheur les jours de marché.

Storyteller, Photographer

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