Elle est belle, ferme, élancée, tout en subtilité et en délicatesse et tellement désirée… j’ai nommé l’asperge du Valais. Ça en serait presque agaçant d’être tant adulée si, dans son élan, elle ne nous apportait le printemps. L’éphémère, la sulfurée, c’est Maurice Dussex qui a su me la raconter, elle et son Valais, quand à Saillon nous nous sommes rencontrés.
La sulfureuse
Une histoire longue de 2000 ans qui pourrait être ainsi condensée : nommée « tige d’amour » par les Egyptiens, réputée sacrée et aphrodisiaque chez les Grecs, avec cette réputation grivoise et sulfureuse – d’où l’expression « aller aux asperges », assez explicite quand on y pense – l’asperge a été boudée au Moyen-âge, elle est revenue d’Orient avec les légions de César puis sur le devant de la scène royale de Louis XIV, ce gourmet capricieux qui en raffolait en toute saison… L’asperge est alors chic et luxueuse. Le 19ème siècle la voit se démocratiser et faire la renommée d’Argenteuil en région parisienne où elle était cultivée. Depuis, on la trouve ici en Valais, mais aussi ailleurs et plus loin, sur les tables royales et populaires qui s’en régaleront de mars à juin, en version locavore responsable. Et parce qu’elle est délicieusement raffinée et irrésistiblement douce, parce qu’elle est insolemment légère et digeste, diurétique, riche en fibres et en minéraux (calcium, potassium, magnésium), pleine de vitamines (A, C et B9 dans le bourgeon tendre et fragile, dont on prendra un soin absolu), l’asperge restera la vedette de nos printemps.

Carpe Diem
« Cueille le jour » ou le destin d’une asperge. De la récolte à la dégustation, ses fans sauront ne pas la faire attendre et la précieuse tolèrera qu’on la cuisine encore quelques jours seulement, patientant sagement dans un torchon au bas du réfrigérateur. 90 jours de course contre la montre où la récolte est soignée et quotidienne. La fraîcheur d’une asperge se lit à la fermeté de sa tige, aux écailles bien serrées de sa pointe et à l’humidité pleine de son talon. Quant à sa couleur, elle est uniquement et directement liée au mode de culture : « buttées », les blanches, plus douces, voient à peine le jour et les violettes, plus fruitées, ont vu juste ce qu’il faut de lumière avant le coup de gouge ; les vertes, au goût plus marqué, auront grandi à l’air libre avant d’être coupées net. Le rendement de la griffe, la racine sur laquelle poussent les turions – nos asperges en devenir – sera optimal seulement après 3 ans en terre et durant une dizaine d’années. Les producteurs sauront éviter la sur-récolte pour ne pas épuiser la griffe et penser ainsi aux années suivantes. Maurice, l’homme affairé, m’a expliqué tout cela en détails, empressé par ses livraisons du jour qui n’attendent pas. Ses clients, aussi variés que nombreux, sont des particuliers, des tables gastronomiques, des primeurs, et Manor aussi. Pris par l’engouement fantastique de l’arrivée des asperges en Valais, produit local et de saison par excellence, tous ont réservé la marchandise et les venues au magasin s’enchaînent sans relâche ce matin-là. Parce que Saillon, c’est surtout une ville médiévale au donjon fier, proclamée Cité de l’asperge qu’elle célèbre cette année le premier week-end de mai. Fête de l’asperge, fête du printemps aussi pour les quelques spécialistes du légume qui la cultivent patiemment sur la plaine du Rhône, ces terres sablonneuses et nourricières qui s’étirent entre Martigny, Fully et Saxon où l’eau ne manque guère et le soleil non plus.

Championnes du monde !
Les asperges valaisannes sont les meilleures au monde. Même les cuisiniers français le reconnaissent !
Maurice Dussex, producteur d’asperges à Saillon.
Alors si même les Français le reconnaissent… Et moi, je l’admettrai d’autant plus et mieux quand je reconnaîtrai un peu plus tard le goût exquis de ses fameuses protégées. Avec Maurice, on parlera des asperges, c’est sûr, mais aussi de Nelson Monfort, des enfants, de Pierre Richard, des pommiers, de football et de l’odeur du pipi… Que celui qui n’a jamais remarqué cette odeur si particulière dans ses urines après avoir mangé des asperges lève la main ! (Ça vous intrigue cette histoire de pipi ?) Maurice Dussex, il sait fort bien de quoi il parle en matière d’asperge. Mi-valaisan, mi-vaudois, amoureux de sa terre et de sa région, c’est la fierté chevillée au corps, l’humilité et l’humour en plus, qu’il retracera son parcours et son métier. Asparagiculteur depuis 4 générations, lui se prédestinait d’abord à la vigne. L’un n’empêchera pas l’autre puisque le Domaine Dussex tire aujourd’hui son liquide des vignes officiellement reconnues les plus anciennes de Suisse.

Le terroir saillonin ? Il est exceptionnel !
Maurice Dussex, producteur d’asperges à Saillon

Parole de Valaisan ! Et il sait le raconter son terroir, celui pour qui l’idée du plaisir gustatif passe avant tout par la beauté naturelle du fruit sur l’arbre, prêt à être croqué, à l’image des pommes, des poires et des quelque 40 légumes que la famille Dussex produit ici quand vient la saison. Riche de ce dépaysement, je m’en retournai en pays vaudois, traversant la beauté des vergers en fleurs et laissant les Alpes Bernoises et Valaisannes derrière moi. Je quittai aussi Maurice Dussex, le producteur passionné, son accent de la vallée du bout du lac qui m’a valu quelques impairs, à moi la Française de Lausanne qui osera trinquer à l’eau à l’heure du déjeuner… Et Maurice, galant plaisantin, de s’amuser « Malgré tout, l’eau fait partie de l’apéro en Valais ! ». Une belle rencontre, simple, généreuse, authentique, valaisanne.
Les championnes du monde de Maurice, il me tardait de savoir ce qu’elles avaient dans la fibre… Dans un cadre merveilleux de nature fribourgeoise, Romain Paillereau, le jeune Chef étoilé de La Pinte des Mossettes, fera mon enchantement avec sa proposition si printanière d’asperges vertes de Saillon en robe de sabayon. Un délice dont il faudra vite se régaler car comme dit la règle paysanne : « Une fois les cerises rouges, les asperges sont mortes ». Il nous restera au moins la gourmandise des fruits rouges pour consolation…

Magasin : Lundi-Vendredi: 9h-11h15/13h-17h – Samedi: 9h – 11h30
7/7 durant la période des asperges. Self-service: 24h/24h, 7/7
Route des Voriges 90, 1913 Saillon – Tel. Maurice Dussex: 079 220 23 37 Paniers de fruits et légumes DUSSEX – Vins du Domaine DUSSEX
Et juste pour le plaisir de notre culture littéraire : Marcel Proust , À la recherche du temps perdu
« Il me semblait que ces nuances célestes trahissaient les délicieuses créatures qui s’étaient amusées à se métamorphoser en légumes et qui, à travers le déguisement de leur chair comestible et ferme, laissaient apercevoir en ces couleurs naissantes d’aurore, en ces ébauches d’arc-en-ciel, en cette extinction de soirs bleus, cette essence précieuse que je reconnaissais encore, quand, toute la nuit qui suivait un dîner où j’en avais mangé, elles jouaient, dans leurs farces poétiques et grossières, comme une féerie de Shakespeare, à changer mon pot de chambre en un vase de parfum ».
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